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La France a longtemps été à la pointe de l’innovation thérapeutique, tout au long du vingtième siècle. Est-ce toujours le cas ? Que manque-t-il aujourd’hui à notre pays pour avancer ? Cela passe-t-il par l’Europe ? Les réponses du Pr. Pierre Joly, président de la Fondation pour la Recherche Médicale et vice-président de l’Académie de Médecine.

Doctissimo : Quelles ont été les innovations thérapeutiques marquantes en Europe au 20ème siècle ?

Pr. Pierre Joly : Plutôt que de faire un catalogue qui va vous sembler fastidieux et ennuyeux, je voudrais plutôt vous raconter des expériences personnelles. Lorsque j’ai débuté à l’hôpital Bichat en tant qu’interne, j’étais dans un service de phtisiologie (NDLR : service spécialisé dans l’étude et la prise en charge de la tuberculose). A l’époque il y avait un grand antibiotique, la streptomycine, dont nous ne pouvions pas bien nous servir, parce que cela rendait les patients sourds, de manière irréversible. Mais nous y avons ajouté un hydroxyle, et du jour au lendemain la streptomycine est devenue utilisable. C’était en 1951-1952, c’est un peu ancien mais des révolutions comme celle-là il y en a eu beaucoup. Par exemple celle des corticoïdes, qui a vraiment été l’équivalent d’un « Lève toi et marche ! » Les femmes âgées que nous voyions à l’époque marchaient presque courbées en deux (NDLR : à cause de leurs rhumatismes). Nous leur avons donné des corticoïdes et elles sont redevenues droites comme des i. Puis nous nous sommes aperçu qu’il y avait quelques petits ennuis (NDLR : effets secondaires de la prise de corticoïdes au long cours). Nous avons ensuite découvert les anti-inflammatoires non stéroïdiens, qui avaient le même effet mais pas les mêmes inconvénients. Des histoires comme celles-ci, je peux en raconter des mille et des cents. Il y a eu une vraie révolution thérapeutique juste après la guerre, révolution qui a commencé avec les antibiotiques, mais qui a également concerné tous les domaines pathologiques.

Doctissimo : Comment qualifier le bilan de ces innovations ?

Pr. Pierre Joly : Le bilan est extrêmement positif si nous le mettons en regard avec notre espérance de vie. Par contre si nous le mettons en regard avec la guérison des maladies, nous sommes encore loin du compte :  il n’y a qu’une maladie sur trois que l’on sait guérir, cela vous donne une idée du champ qu’il reste à parcourir. Mais dans les pays en voie de développement, il faut avoir conscience que c’est une maladie sur huit (au mieux une sur six). Cela signifie qu’il reste plein de maladies à guérir, sous des conditions qui nous échappent un peu.

Doctissimo : A quel point la France a-t-elle contribué à ces innovations ?

Pr. Pierre Joly : Aux alentours des années 50, jusqu’en 59 ou 60, la France avait à l’échelon mondial le deuxième rang d’inventeur de médicaments. Nous arrivions tout de suite après les Américains. Les Américains sont toujours restés leaders, de très loin, et se sont toujours aujourd’hui. Mais la France était deuxième à l’époque, surtout lorsque nous avons mis sur pied (en 1959) le « Brevet spécial du médicament ». Et puis cette deuxième place s’est défaite petit à petit et aujourd’hui nous en sommes réduits à une septième place qui est presque la dernière, et encore, nous voyons arriver les Coréens, les Japonais, les Brésiliens et les Chinois, qui vont nous passer devant. Pour moi cela semble signifier, sur le plan politique, une espèce de démission.